Sly Johnson, un véritable parcours artistique
Des "golden years" du hip hop et du breakdance jusqu'à la soul authentique, Silvère "Sly" Johnson aura parcouru en 15 ans un chemin à la fois atypique et néanmoins logique.
On se rappelle tous des Sayan Supa Crew, un des meilleurs groupes de rap français des années 2000 ! Ce qui faisait la force de ce groupe ? Des sons variées, dynamique, inimitable... une troupe menée par Leeroy, mais surtout composée de membres très éclectiques et très originaux, comme Féfé, Sir Samuel et bien entendu "Sly" qui à l'époque arbore le pseudo "The Mic Buddha".
Sly donne alors dans le rap, avec surtout une mise en avant lors de séquences de "Human Beatbox", qui faisait sa particularité dans le groupe (voire LA particularité du groupe). "The Mic Buddha" est en effet le fils spirituel des Fat Boys, pionniers newyorkais du beatboxing.
Avec son acolyte Sir Samuel (ils formaient ensemble le groupe Simple Spirit avant l'aventure SSC), ils se laissent également guidés par des sonorités afro-caraïbéennes, ce qui donne d'ailleurs au Sayan un de ces titres les plus célèbre : Angela.
Egalement DJ dans un club des champs Elysées, il n'est pas usurpé de dire que le sieur est un véritable touche à tout dans la musique. D'ailleurs, après la séparation du collectif SSC en 2007, "Sly" s'émancipe déjà auprès d'artistes variés : Oxmo Puccino, Rokia Traoré mais aussi Camille (un album quasiment uniquement vocal) ou Erik Truffaz, le célèbre trompettiste français du label Blue Note, qui a carrément consacré tout un album à leur collaboration sur son projet "Rendez-Vous".
Pour toutes ces raisons, cet album "74" est une surprise sans vraiment que l'on s'en étonne. Ici, pas de hip-hop déjantés, pas de zouk ostentatoire, pas de "clowneries" beatboxing. "Sly The Mic Buddha" devient plus sobrement "Sly" Johnson et se détache de son passé étouffant pour éclore dans la Soul, la pure et simple. Cette musique qu'il redécouvre grâce à Jean-Philippe Mano, son disquaire de référence. C'est bien une re-découverte, puisqu'enfant il fut bercé par ces sonorités jazz et soul, dont son père mélomane se régalait régulièrement.
Sly Johnson tient enfin sa voie, et trouve également sa voix qu'il n'avait jamais exploitée jusqu'ici ! Si "74" est l'année de naissance de Silvère c'est aussi, à présent, l'album de naissance de "Sly".
"74", un album Soul "authentique"
Ce qui frappe avant tout, c'est la qualité globale des productions qui composent cet opus. Ca saute aux oreilles, on est très très loin d'une production francophone habituelle. Et pour cause, Sly s'est extrêmement bien entouré pour réaliser son oeuvre : produit par Jay Newland (Norah Jones, Ayo), on retrouve le batteur de Lenny Kravitz (!), le bassiste de James Brown (!!) ou encore le guitariste de Roberta Flack (!!!). Le tout sublimé par un maitre du genre, alias Larry Gold (Erykah Badu, The Roots)... pas étonnant que certains morceaux semblent tout droit sortis des plus belles années Soul des sixties...
Attendez, je n'ai même pas encore parlé des featurings : Slum Village, Ayo... ce n'est quand même pas donné à tout le monde d'avoir ce genre d'invités sur son album ! Même si, pour être tout à fait honnête, j'attendais un peu plus de la collaboration Slum Village, le morceau "Slaave 2" n'étant clairement pas le meilleur titre de l'album. En revanche, la présence d'Ayo sur "Calling you" est tout simplement géniale, ajoutant davantage qu'un simple featuring de circonstance, jusqu'à en faire le single porte drapeau de l'album sur les ondes. Le clip vaut également d'être vu, il est superbement mis en scène, et la qualité du montage ajoute encore un degré de qualité au titre.
Attention, tout n'est pas aussi "génial" sur l'album, on note par exemple des morceaux comme "Sexy", "I.S.A.R". ou "(You are a) STAR" qui, bien qu'ayant un sens dans l'oeuvre globale, sont moins plaisant à l'écoute prolongée. Ces pistes sont moins accessibles : elles nécessitent d'être bien imprégné de l'univers de l'artiste pour être appréciées, ce qui explique peut être leur positionnement en fin d'album. A noter la présence de Rachel Claudio sur "STAR", artiste que j'apprécie en général, mais dont la présence cette fois-ci n'aura pas suffit à me faire changer d'avis sur le morceau.
Mais revenons plutôt sur l'excellentissime "Hey mama", assurément mon titre préféré ! Tout est parfaitement servi, que ce soit la basse "à l'ancienne", les cuivres détonants ou le rythme entrainant, tout me plait dans cette production ! La voix de Sly Johnson trouve ici sa meilleure expression et colle parfaitement au style authentique qui se dégage de l'ensemble.
J'ai retrouvé d'ailleurs ce même engouement sur "Fa-fa-fa-fa-fa" (reprise d'Otis Redding). Tout y est du même acabit, une soul complètement authentique : à se demander si le son n'a pas été enregistré en 1960 ! Le grain est volontairement un peu vieilli et c'est du meilleur effet sur ces deux titres : on dirait presque du live parfois !
On remarque que l'album est chanté uniquement en anglais, c'est un parti pris qui peut éventuellement se discuter concernant un artiste francophone. Mais quel autre choix avait-il pour faire de la "vraie" soul ? Et puis surtout, avec l'anglais, Sly Johnson s'ouvre des portes à l'international, le public francophone n'étant pas forcément prêt pour apprécier la musique soul à sa juste valeur...
Dans le genre petite perle, la reprise des Korgis "Everybody's Got To Learn Sometimes" tourne en boucle dans mon baladeur. Une fois de plus, la voix de Sly étonne. Le tempo est donné par un beatbox très discret et des choeurs parfaitement calés, accompagnés de juste ce qu'il faut de cordes (guitares et violons). C'est réellement un beau morceau de musique et une bien belle reprise.
L'album s'achève de façon assez inattendu avec un slam. "26.06.74" sonne comme un message livré aux auditeurs qui ont pris la peine d'écouter l'intégralité de l'album. Le texte est très bien écrit, c'est une introspection très intime, accompagné sobrement d'un beatbox discret et de quelques vocalises. On ressent que cet album est porteur d'une symbolique forte pour son auteur qui se livre une dernière fois allant jusqu'à évoquer subrepticement un drame personnel.
"74" est un album fait d'âme et de soul authentique, remarquablement bien produit, et qui sonne un nouveau départ pour Silvère "Sly" Johnson, lui qui a déjà parcouru tant de chemin depuis 1974...
74 tracklist
01. Slaave 2 Ft. Slum Village
02. Calling You Ft Ayo
03. Hey Mama
04. Fa - Fa - Fa - Fa - Fa
05. Goodbye Tomorow
06. Everybody's got to learn sometimes
07. Don't justify urself
08. Star Ft. Rachel Claudio
09. Sexy
10. I.S.A.R.
11. 26.06.74